J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

Jérémy LIRON

Regard soutenu...

En pensant à Jérémy LIRON et Armand DUPUY

 

Si l'on pouvait installer un caméra devant un paysage et prendre une image tous les cent ans, la projection du film montrerait bien comment les parties meubles du sol glissent sur les pentes et disparaissent dans les cours d'eau.

Le film ferait voir aussi que ce déplacement ne s'opère pas de façon égale et continue.  L'érosion laisse des temps de répit aux matériaux transportés : ils en profitent pour se déposer dans les fissures, sur les replats, dans les fonds de vallées. Un jour, ils seront repris et entraînés plus loin. Le répit peut être court; il peut aussi durer des siècles, et même sembler indéfini. Les sites préhistoriques se rencontrent dans des endroits où les couches sédimentaires ont subsisté sans trop de dommage. C'est dans ces lieux privilégiés qu'ont été enregistrées les archives de la terre.

                                                                                                                              André Leroi-Gourhan 

 

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Photo M T Peyrin 2013 | Outils © 

 

Avec les bruits humains aux alentours tu sédimentes la pensée quotidienne qui en est le ciment artificiel en cours d'assèchement. C'est presque calme jour après jour bien que tout ce que tu vois, entends, comprends aille à l'encontre de cette immobilisation progressive et délibérée de l'inquiétude. L'inquiétude concerne toujours le vivant et ses apnées perpétuelles de bon sens. La lutte est enragée, l'ambivalence extrême. On veut sauver et détruire presque en même temps. On veut garder sa peau intacte et on en balafre la surface avec des gestes inconsidérés. On ne se ménage pas et on ne ménage pas non plus celui ou celle qui est en face. On va aux plus pressés comme ces manieurs d'armes du moyen-âge qui confondait le poids du métal et la volonté d'épargner l'autre ou soi en donnant un sursis grotesque à l'escotade. L'intention était d'en découdre, au propre et au figuré. D'où vient se goût si morbide de dépecer la chair ou l'esprit ?  Et maintenant de ruiner ( qui est l'équivalent) l'adversaire qui semble avoir accumulé du profit en existant et en thésaurisant sur le principe de l'exploitation de l'homme par l'homme. Débusquer l'intention d'autrui en le pourfendant à l'avance, se mettre à sa place aussi, puisque symétrie, il y a dans la condition vulnérable et mortelle. Cette passion du "bien faire" , qui est le contraire de la pulsion desctructive, s'apprend. Que ce soit du patrimoine ou des idées, il s'agit pour certains d'accumuler des trésors de guerre et de les cacher le plus possible pour ne pas avoir à les partager avec le voisinage. Certains en crèvent sur leur tas d'or en n'étant pas plus heureux que l'artisan contemplant un meuble ou une maison fabriquée de ses mains grâce à ce qu'il a reçu de technique par ceux qui l'ont précédé et entouré un moment. Caresser la matière transformée par une longue patience et un regard soutenu est un plaisir sans prix. A condition que les objets ne deviennent pas des antiquités sous scellés et qu'ils soient accessibles et habitables. C'est la raison pour laquelle tu as autant de déférence pour les vieux outils rouillés, abandonnésau bord d'un antique établi familial, dans un vieux clapier de jardin  et pour les maisons un peu usées . 

 

Entame des Jours | Outils ...


Elle me (re)dit : "J'ai du mal avec les maisons..."

 

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Photo M T Peyrin 2012 

Sortie Arrière de Bâtiment Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation -Lyon 7°|

 

 

 

 

Pour Olga Marin-Veit et Jérémy Liron

 

 

Ce qu'elle me dit résonne dans ma mémoire récente, et tout se relie naturellement à la place que tiennent précisément les maisons successives dans ma vie de femme et celles des femmes qui m'ont précédée. J'ai toujours fait des rêves de maison et des cauchemars d'exode. Je sais de quoi elle parle lorsqu'elle évoque l'impossibilité de trouver la sécurité autour du corps empêché de résidence et de calme, le contraire de l'impression de folie au logis. Réfléchir à cela, et aux conséquences. La première maison, c'est le corps, banalité de le rappeler, et pourtant. Le corps est la maison qui se construit, qui rutile parfois et qui se délabre inexorablement. Maison que l'on viole depuis la nuit des temps et qui tente d'échapper à cette fatalité qui n'en est pas une si on réfléchissait bien. La première préoccupation animale est de trouver l'abri sécure , avant même d'aller quêter la nourriture. Nous sommes toutes des  Poupées Russes "infatigables"... mais parfois découragées...

 

Plaisir pourtant ce matin, à relier ces pensées à celles de Jérémy Liron dans son Journal de Résidence qui commence. Il se demande comment investir le creux d'un lieu avec son propre sentiment de creux pourtant débordant de possibilités créatives. Le lieu est d'abord inconnu et inquiétant mais profondément attractif car il implique une montée des pensées constructives dans un espace réel à construire. Où seront les murs porteurs, les passages, les alcôves, les zones de respiration, les secrets de charpente d'une oeuvre à venir. Les plans d'occupation du ciel et de l'horizon collectif ne sont pas encore lisibles. Il faut s'asseoir par terre, sur un rebord d'escalier ou dans un coin non repéré de tous pour fabriquer les lignes de fuite, le fil à plomb, le regard du géomètre qui sait à l'avance que cet endroit ne peut être conçu que pour des silhouettes de passage dont le silence final n'est pas le moindre des défis. Parler dans l'espace, parler dans son propre espace mental est le premier devoir d'un peintre ou d'un sculpteur. Parler à partir de la contemplation et de la suspension très provisoire du geste. S'immerger dans le déjà su qui s'oublie au fur et à mesure pour entrer dans l'eau secouée de particules d'inconnu. Réapprendre à savoir où ça commence, où ça s'arrête, où ça oblige à entrer ou à quitter, et ce qu'il en reste pour "ceux qui après nous viendront"... Penser l'espace dans les intervalles de doigts découpant la vision, procéder par cadres successifs, juxtaposés, superposés, recomposés, labiles, et saisir les plans dans toutes les positions pour en retourner les logiques de fond en comble, éviter le tournis, colmater les fissures, caler les portes et les fenêtres, blanchir pour agrandir, noircir pour révéler. Habiter la lumière rasante et chaque trajectoire de poussière avec tendresse et détachement. Savourer la beauté d'une ligne brisée ou d'un contour de ruines espérantes. Prendre le parpaing pour ce qu'il est :  un poste de guet où s'asseoir et renifler, pour crayonner en attendant la toile et les parois mobiles. Chaque geste comptant, sans décompter le temps de façon mécanique. Etre là pour organiser la présence sans préjuger de son intensité et de ses limites. Etre le chien actif de Giacometti dans toute son endurance avec son flair philosophe et  propulsant. Marquer le territoire sans y croire éternellement. Sourire en repartant. Bouger juste.